Thérapie génique : une science à la croisée des chemins

24-05-2019

Par Guy-André Pelouze

« Comme Aristote et chaque théoricien sérieux de la nature humaine ont compris, les êtres humains sont naturellement des animaux culturels... » 
(“Francis Fukuyama, “Biotechnology and the Threat of a Posthuman Future.” The Chronicle of Higher Education (22 March 2002): B7 — B10.”)

Il est intéressant de paraphraser F. Fukuyama : l’individu est né d’une union génétique tandis que l’évolution a développé l’intelligence et les capacités sociales et culturelles de notre espèce. La génétique est, cependant, la cause de nombreuses maladies. La fatalité des maladies génétiques, qu’elle soit prévisible ou purement aléatoire est maintenant combattue par des thérapies géniques. Ces thérapies soulèvent aussi des questions, d’autant que nous sommes passés, en quelques décennies, de l’impuissance tragique à des interventions directes. La transition a été rapide et brutale, les premiers résultats sont là et il y a de nouveaux risques.

Corriger ou réécrire 

Les thérapies géniques sont des techniques expérimentales qui utilisent les gènes pour traiter ou prévenir une maladie. Cette incroyable odyssée a commencé avec la découverte de l’ADN par Miescher en 1869, celle de la double hélice par Watson et Crick en 1953, puis s’est poursuivie avec le séquençage du génome humain en février 2001 et récemment, la découverte du CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ou courtes répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées). En effet, sans simplification excessive, on peut dire que les organismes vivants ont perfectionné leur génome au cours de leur évolution. Par conséquent, il y a souvent plusieurs gènes pour la même fonction et, à l’inverse, plusieurs fonctions pour le même gène.

Plusieurs techniques peuvent être utilisées pour modifier l’anomalie génétique qui provoque une maladie. Il est possible de diminuer ou d’éteindre l’expression d’un gène sans modifier le capital génétique de l’individu. On peut aussi augmenter l’activité d’un gène qui complète le gène déficient. Ou on peut modifier le capital génétique à l’aide d’un vecteur qui va insérer un gène dans le génome des cellules de divers tissus — le plus souvent un virus. Enfin, il est devenu possible de réécrire le code génétique, grâce au CRISPR-Cas9, un système dérivé de bactéries, qui supprime ou remplace un gène par un autre dans l’ADN à un endroit précis. 

La mondialisation et les trois zones mondiales de thérapie génique humaine 

En Europe, il y a une myriade de législations sur la thérapie génique. 24 pays européens, dont la France, interdisent toute intervention sur la lignée germinale (les cellules qui se combinent avec ceux de l’autre sexe pour créer un embryon). Le Conseil de l’Europe appelle à une interdiction de manipulations génétiques de la lignée germinale ou de modifier le génome des générations futures. Cependant, le Royaume-Uni a récemment autorisé une modification de la lignée germinale via le don mitochondrial. 

Les Etats-Unis ont un système réglementaire complexe qui rend très difficile de modifier la lignée germinale, mais ne l’interdit pas. Il y a également des restrictions sur le financement de la recherche sur les embryons qui pourraient avoir un effet majeur sur la connaissance sous-jacente nécessaire pour atteindre le stade de l’approbation réglementaire. 

Et puis le tiers- monde n’est simplement pas réglementé. Certains pays n’ont pas envisagé cette éventualité, tandis que d’autres ont seulement des recommandations ou règlements ambigus (Chine, Inde, Russie, Japon...). 

En regardant les essais cliniques signalés jusqu’en 2015, les États-Unis ont entrepris 66.81 % des essais cliniques de thérapie génique ; tous les autres pays ont des pourcentages plus modestes : 9,45 % au Royaume Uni ; 3,95 % en Allemagne ; et environ 2 % chacun en Suisse, France, Chine et Japon. 

Les risques de la thérapie génique

Comme tout traitement efficace, la thérapie génique présente des risques. 

Le cas de Jesse Gelsinger en est un exemple : il contrôlait, à l’âge de 18 ans, sa maladie génétique métabolique par un régime alimentaire et des médicaments. Il a participé à un essai clinique à l’Université de Pennsylvanie en 1999 pour tester un vecteur viral d’un gène normal pour l’enzyme déficiente. Le résultat fut désastreux. Gelsinger a subi une réaction en chaîne que les tests n’avaient pas prédit – ictère, une coagulation du trouble, insuffisance rénale, insuffisance pulmonaire et mort cérébrale. Plusieurs erreurs ont été commises quand il a été accepté pour participer à cet essai, mais sa cause demeure un avertissement éminent concernant ces nouveaux risques.

Autre exemple : l’amyotrophie spinale (AS), une des maladies génétiques mortelles chez les nourrissons. Les motoneurones dégénèrent, ce qui rend impossible les fonctions musculaires et, par conséquent, affecte les capacités de se mouvoir, de se tenir droit et de respirer. La mise à disposition du Spinraza a changé le pronostic de cette maladie en augmentant la production de la protéine nécessaire à la survie des neurones moteurs sans altérer le gène malade. En même temps, AveXis a postulé à la FDA (US Food and Drug Administration) pour l’approbation d’une nouvelle façon de traiter la AS, cette fois en utilisant la thérapie génique. Le traitement, le Zolgensma, soulève des questions. Les essais cliniques du Zolgensma ont porté sur de très petits groupes et des périodes de temps courtes. La phase 1 des essais d’Avexis a été réalisée sur seulement 15 poupons ; augmenté en phase à 20 nouveau-nés. Cette technique implique deux types de risques concernant l’introduction d’un nouveau matériel génétique et d’un virus vecteur. Le remplacement d’un gène par une autre (extérieur) peut affecter des fonctions différentes de celles pour lesquelles le gène est remplacé, comme en témoigne l’expérience tragique de Gelsinger — une hypothèse qui devrait alerter les responsables de la réglementation. 

Calculer les risques

Les différents protagonistes de la thérapie génique s’accordent sur un fait : la preuve de l’efficacité dans les essais est solide parce que les résultats sont rapides et faciles à mesurer, mais les conséquences à long terme, individuelles ou au niveau de l’espèce, sont sans précédent. Quand une thérapie génique, quelqu’elle soit, donne aux enfants une chance de survie, l’équation est simple. Lorsqu’il s’agit de conditions génétiques non létales ou déjà traitables, l’évaluation des risques et des profits est plus difficile. Est-il préférable de poursuivre la thérapie génique qui ne remplace pas le gène, mais améliore l’état du patient, ou est-il raisonnable de choisir un traitement plus radical, mais dont il est plus difficile d’identifier les risques ? Dans ce débat, la transparence et les publications scientifiques évaluées par des pairs sont primordiaux. Mais les patients et, en particulier, les parents, dans le cas des enfants, me semblent avoir un rôle essentiel à jouer. Certaines thérapies géniques seront des échecs, d’autres survivront. Il est rationnel que les patients doivent être protégés autant que possible, mais les cas les plus graves doivent pouvoir accéder à des traitements innovants le plus tôt possible.

Les autorisations pour les thérapies géniques se multiplient, ce qui explique pourquoi le modèle classique pharmaco-économique doit tenir compte de la nature unique de cette thérapie. En ralentissant l’utilisation clinique chaque fois qu’il existe une incertitude majeure et en étant encore plus efficace lorsque des risques et des avantages sont en balance.

 

Traducion : Fabien

Source : European Scientist

Share