Les cellules-souches, un outil précieux pour la recherche médicale

Oui, les cellules-souches remplissent toutes leurs promesses, affirment en choeur les chercheurs louvanistes Catherine Verfaillie et Philip Van Damme. Pour l’heure, c’est surtout pour identifier les mécanismes qui sous-tendent certaines maladies qu’elles représentent un instrument précieux. Ces connaissances peuvent toutefois représenter ensuite un tremplin vers le développement de nouveaux traitements.

Les traitements à base de cellulessouches proprement dits, par contre, c’est une toute autre histoire. Les résultats des premiers essais cliniques sont prometteurs, certes, mais ils appellent encore bien des recherches supplémentaires. Les personnes qui proposent actuellement contre paiement et en-dehors du cadre d’études cliniques des traitements par cellules-souches contre des maladies comme la SLA, le Parkinson ou d’autres affections dégénératives sont ni plus ni moins que des charlatans.

Le Pharmacien a rencontré le Pr Catherine Verfaillie, directrice de l’institut des cellulessouches de Louvain, et l’un des nombreux chercheurs avec qui elle collabore, le Pr Philip Van Damme, neurologue à l’UZ Leuven et chercheur au VIB Vesalius Research Center de la KU Leuven.

« La recherche sur les cellules-souches s’est vraiment accélérée à partir de 2006, avec la découverte qu’il est possible de reprogrammer des cellules adultes en cellules-souches pluripotentes par l’adjonction de quatre gènes. On parle alors de cellules-souches pluripotentes induites (CSPi) », explique Catherine Verfaillie. « Cette découverte a valu un prix Nobel au chercheur japonais Shinya Yamanaka après six ans à peine - et à raison, du reste ! »

« Les possibilités sont phénoménales », poursuit le Pr Verfaillie. « Une cellule cutanée, par exemple, peut être transformée en une cellule-souche qui pourra ensuite se différencier en une cellule hépatique, une cellule productrice d’insuline, un neurone. » Jusqu’en 2006, ce processus nécessitait le recours aux cellules-souches embryonnaires, avec toutes les préoccupations éthiques que l’on sait. Aujourd’hui, il peut être réalisé directement au départ de cellules adultes.

« Notre collaboration a débuté en 2007 », se souvient le Pr Van Damme. « Notre champ de recherche concerne les maladies neurodégénératives, notamment la démence frontotemporale (DFT) et la sclérose latérale amyotrophique (SLA). » Le spécialiste a rapidement vu dans la technologie CSPi des possibilités de créer des modèles cellulaires pour ces pathologies. Le principe, toujours le même, consiste à prélever des cellules cutanées ou sanguines chez des patients pour les transformer ensuite en cellules-souches puis en neurones. Pendant et après ce processus de différenciation, les scientifiques ont la possibilité de rechercher les mécanismes qui soustendent la neurodégénérescence caractéristique de ces maladies.

Une avancée majeure a été annoncée au tournant de l’année nouvelle dans le domaine de la démence frontotemporale, une forme héréditaire de démence caractérisée par une dégradation progressive des neurones du cortex cérébral. Dans ce cas de figure, cette dégénérescence ne se traduit pas par des pertes de mémoire mais par des modifications frappantes du comportement ou des troubles du langage. Des mutations du gène codant pour la progranuline sont l’une des causes les plus fréquentes de DFT.

Les Prs Verfaillie et Van Damme ont investigué l’impact d’un déficit en progranuline sur la formation des neurones corticaux à partir de CSPi. Il est apparu dans le cadre de leurs travaux qu’il était plus difficile de générer des neurones corticaux lorsque les CSPi provenaient de patients atteints d’une DFT, mais aussi que la cascade de signalisation Wnt était perturbée dans ces cellules. À l’inverse, le fait de normaliser la concentration en progranuline ou de corriger la voie de signalisation Wnt leur a permis de stopper la dégénérescence de ces neurones. Ces résultats concordent avec de nouvelles données cliniques qui démontrent que des anomalies peuvent être observées à l’imagerie cérébrale chez les patients atteints de DFT plusieurs années avant le diagnostic et constituent donc un signe avant-coureur du développement clinique de la maladie.

« Ces modèles cellulaires ouvrent aussi la voie à de nouveaux traitements », affirme le Pr Van Damme. Il évoque notamment des travaux récemment menés au Harvard Stem Cell Institute , où des chercheurs ont pu démontrer grâce à la technologie CSPi qu’un antiépileptique existant, la rétigabine, avait également un impact bénéfique sur la survie des neurones moteurs chez les patients SLA. Une étude clinique avec cette molécule est en passe d’être lancée.

« La création de tels modèles cellulaires et les recherches qui en découlent (et pas seulement dans le domaine des maladies dégénératives) constituent l’un des fers de lance des activités scientifiques de l’institut des cellules souches de Louvain », explique le Pr Verfaillie. « Nous n’en sommes toutefois encore qu’aux premiers balbutiements. À l’heure actuelle, ces recherches portent généralement encore sur des cultures cellulaires en deux dimensions. Nous évoluons toutefois progressivement vers des modèles en 3D, car ces neurones DFT ou SLA et leurs cellules de soutien se développent dans un environnement tridimensionnel, que la prochaine étape sera donc d’émuler. » Pour d’autres maladies, la création d’organoïdes tridimensionnels composés de plusieurs types cellulaires distincts est en bonne voie. Une étape supplémentaire réside dans la combinaison de modèles cellulaires avec des de micropuces. «Ce projet développé en collaboration avec Imec nous permet de mesurer leurs fonctions électriques », explique le Pr Verfaillie.

Le Pr Verfaillie tient par contre à souligner que les traitements par cellules-souches ne sont pas encore pour demain dans le domaine des maladies neurodégénératives. « En dépit des espoirs des patients et de leurs proches, il faut savoir que des maladies neurodégénératives telles que la SLA ou la DFT font intervenir non seulement des neurones mais aussi des cellules gliales et d’autres cellules de soutien », enchaîne le Pr Van Damme. Une thérapie par cellules-souches ne sera donc réellement efficace que si elle agit sur toutes les composantes contribuant à la neurodégénérescence. et nous en sommes loin.

« Le Parkinson pourrait bien être la première maladie cérébrale à pouvoir bénéficier d’un traitement par cellules-souches », poursuit le Pr Verfaillie. « Dans ce cas précis, la dégénérescence touche en effet essentiellement les neurones qui produisent la dopamine. » La spécialiste a également bon espoir que des applications thérapeutiques puissent être développées dans un avenir relativement proche dans le domaine de la dégénérescence maculaire (avec déjà quelques études cliniques prometteuses) et du diabète.

En ce qui concerne les thérapeutes qui tentent d’appâter les patients par la promesse d’un traitement par cellules-souches, les deux experts se montrent extrêmement sceptiques. « Heureusement, cette « mode » est un peu passée et même les malades les plus désespérés commencent à comprendre que le recours à un médecin chinois ou autre qui leur promet monts et merveilles ne leur rapportera guère qu’une saignée financière », observe le Pr Van Damme. « Nous voyons néanmoins que nombre de patients sont prêts à contribuer à la recherche scientifique par des dons de matériel corporel, par exemple. En tant que chercheurs, nous ne pouvons évidemment que nous réjouir de cette collaboration. »

Peter Raeymaekers

 

Source : Le Pharmacien

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