La neurogénéticienne Prof. Rosa Rademakers au sujet du 'Ice Bucket Challenge'

16-09-2014

La neurogénéticienne Prof. Rosa Rademakers s'exprime au sujet du 'Ice Bucket Challenge'

PAS DE DOUCHE FROIDE!

La belge Rosa Rademakers est la fille de Jef Rademakers, créateur des émissions de télévision bien connues ‘Klasgenoten’ et ‘Pin Up Club’. Elle a débuté il y a neuf ans, dans un tout autre domaine, comme chercheuse à la clinique Mayo de Jacksonville, en Floride, où elle dirige maintenant une équipe de recherche. Il y a trois ans, elle a obtenu l’attention de la presse avec une percée majeure dans la recherche sur la sclérose latérale amyotrophique, entretemps connue de tous sous l'acronyme de SLA. Comment une éminente chercheuse SLA perçoit-elle le battage médiatique entourant le 'Ice Bucket Challenge'? Un entretien téléphonique vers la Floride.

Katia Vlerick

Pour ceux qui ne savent pas comment cette maladie démolit votre corps: elle détruit les neurones dans le cerveau et la moelle épinière, engendre une paralysie progressive qui se termine par la mort par asphyxie.

 

 HUMO Qu'est-ce qui rendait la découverte en 2011 de votre laboratoire tellement révolutionnaire?

Rosa Rademakers

« Nous avions découvert qu'un petit fragment d'ADN, un petit morceau de matériel génétique du chromosome 9, qui était répliqué seulement deux à maximum vingt fois chez les personnes en bonne santé, se répétait des centaines ou même des milliers de fois chez les patients SLA. On savait depuis un certain temps qu'il y avait un problème sur le chromosome 9, et nous avons trouvé lequel. Indépendamment de nous, mais en même temps, un groupe de chercheurs de Washington a découvert le même défaut génétique.

Entretemps, nous savons aussi que ces longues chaines de duplications anormales d'ADN peuvent engendrer des répétitions anormalement longues d'ARN et des protéines toxiques. En bref: cela perturbe l'ensemble du métabolisme de la cellule. »
 

HUMO Mais cette mutation génétique n'est pas constatée chez tous les patients SLA. 

Rademakers « C'est vrai, mais on peut espérer que cette recherche nous permettra de mieux comprendre aussi ce qui ne va pas dans les cellules nerveuses, et cela pourrait alors être utile pour tous les patients SLA. »
 

HUMO Les porteurs de cette mutation peuvent aussi développer une autre maladie: la démence fronto-temporale ou DFT. 

Rademakers « C'est via la DFT que je suis arrivée à la recherche SLA : ma thèse de doctorat à l'Université d'Anvers chez Christine van Broeckhoven était axée sur la recherche d'un gène qui cause le DFT. Les champs de ces deux recherches sont maintenant, partout au monde, fusionnés en un seul spectre. Certaines personnes ont la SLA, d'autres la DFT, et encore d'autres souffrent d'une combinaison des deux. Il y a même des patients présentant des symptômes cliniques qui font plus penser à Alzheimer ou à Parkinson. Et on ne sait toujours pas pourquoi un patient développe la SLA et un autre la DFT suite à cette mutation. Je concentre maintenant entièrement ma recherche sur cet aspect. »
 

HUMO Est-ce que vos découvertes au cours de ces trois dernières années ont déjà permis de développer des traitement pour la SLA? 

Rademakers « Il n'y a pas encore de traitement, trois ans c'est trop court pour cela. Mais, à la fin 2013, il y a eu plusieurs articles publiés sur l'utilisation d'oligonucléotides antisens : ce sont de petits morceaux de matériel génétique qui détruisent et éliminent les répétitions anormales d'ARN. Des tests sur des souris sont actuellement en cours et c'est ce qui est, actuellement, le plus prometteur.»
 

HUMO Est-ce que cela pourra retarder la maladie ou même la guérir? 

Rademakers « Le grand avantage de la découverte d'une mutation génétique, c'est de pouvoir tester les gens : sont-ils porteurs ou pas? Dès qu'une thérapie est développée, on peut l'entamer avant que les cellules ne soient endommagées. Pour l'instant, les cellules endommagées le restent irrémédiablement, il est donc difficile de savoir si une thérapie serait utile à un stade ultérieur. Mais je voudrais nuancer : ne jamais dire jamais. Je pense cependant qu'il y a très peu de chances d'aboutir à une thérapie pour des patients qui ont déjà la maladie: on parviendra peut-être à la retarder, mais pas à la guérir. »
 

HUMO Serait-il possible de sélectionner, par fécondation in vitro (FIV), un embryon qui ne présenterait pas de mutation génétique SLA? 

Rademakers « C'est tout à fait réalisable. On le fait déjà pour d'autres maladies. Si on parvient à éviter de transmettre la SLA à ses enfants, je pense que cela devrait être envisagé. »
 

HUMO Comment se fait-il que la SLA stagne chez Stephen Hawking?

Rademakers « Il n'y a pas d'explication pour cela. Cela montre l'hétérogénéité des manifestations de la SLA. Certaines personnes ont la chance, dans leur malheur bien sûr, que leur maladie est lente ou même stagnante. Pour des raisons encore inexpliquées. Ce n'est malheureusement le cas que chez un très faible pourcentage de patients ».
 

OBSTINATION

HUMO Votre père était un producteur de programmes télévisuels et est, maintenant, collectionneur et écrivain. Une personnalité flamboyante. Avez-vous toujours été attirée par les sciences exactes? 

Rademakers

« J'ai eu l'occasion d'accompagner parfois mon père sur les lieux de tournage de ‘Klasgenoten’, mais je n'ai jamais rêvé d'un emploi dans le monde de la télévision. Je trouvais les mathématiques et les sciences beaucoup plus intéressantes. J'ai le même caractère que mon père: nous sommes tous les deux des obstinés. Il se pourrait que j'aie voulu choisir, en tant qu'aînée, mes études en réaction par rapport à la profession de mon père.

J'ai, par contre, hérité de la créativité de mon père. Il fallait oser penser de façon créative pour découvrir ce que nous avons trouvé. Beaucoup d'équipes de chercheurs étudiaient ce qui clochait sur le chromosome 9, mais c'est en analysant autrement les données que nous avons solutionné le problème. Obstination et créativité : mon père et moi ne faisons qu'utiliser ces qualités dans des domaines différents (rires). »
 

HUMO Comment voyez-vous le phénomène 'Ice Bucket Challenge'?

Rademakers « Je ne suis pas quelqu'un qui suit rapidement ce genre d'initiative. J'ai eu mes doutes au début, mais notre équipe a également relevé le défi. L'Université Johns Hopkins nous avait nominé. Nous avons ensuite défié nos collègues d'autres Universités et ils ont tous répondu positivement. Entretemps, plus de 100 millions de dollars ont été récoltés aux USA : c'est un montant dont on peut espérer qu'il fera vraiment la différence. »
 

HUMO Le site de l'ALS Association (USA) précise que 28 pourcent de leur budget est dédié à la recherche. Il y a déjà eu des critiques pour dire que cela était trop peu. 

Rademakers « La recherche n'est qu'un des trois piliers de l'Association : elles donne aussi de l'argent aux patients et aux membres de leur famille pour leur permettre de vivre mieux, d'acheter certains dispositifs d'aide.

Nous avons déjà reçu, dans le temps, des fonds de l'Association et nous soumettons régulièrement des projets. Maintenant, ils sont évidemment submergés par tout cet argent. Ils n'ont pas encore annoncé ce qu'ils vont en faire. Je pense qu'ils vont demander à des experts en divers domaines comment consacrer au mieux cet argent. Je suis convaincue qu'il y aura maintenant un plus grand pourcentage destiné à la recherche. »
 

HUMO Est-il vrai que la SLA est une maladie moins intéressante pour les investissements de l'industrie pharmaceutique, parce que relativement rare? 

Rademakers « C'est tout à fait exact. Et c'est le cas de toutes les maladies rares. Au moins patients, au moins lucrative est la production d'un médicament. De plus, les temps ne sont pas favorables pour les fonds de recherche. »
 

HUMO Un avocat du diable particulièrement cynique pourrait objecter: « Pourquoi investir de l'argent dans une maladie rare dont presque tous les patients meurent endéans les cinq ans? »

Rademakers « Ce n'est pas parce que cette maladie est rare qu'elle serait plus difficile à résoudre, ou parce qu'elle est fatale que nous ne pouvons rien faire tout. Si nous parvenons à établir un diagnostic précoce, nous pourrons probablement développer, déjà au cours des prochaines années, des thérapies pour une partie des patients. »
 

HUMO Etes-vous convaincue de la découverte future d'une thérapie? 

Rademakers « Évidemment, nous avons encore un long chemin à parcourir. Je peux seulement dire que tout le monde dans notre domaine de recherche pense que la voie que nous prenons maintenant est une des meilleures pour lutter contre la maladie. Jusqu'à présent, il n'y a rien qui permet de guérir de la SLA ; Il n'y a qu'un seul médicament qui ralentit un tout petit peu la maladie. J'espère qu'il sera possible, au cours de ma carrière, d'aider réellement les patients SLA. »

 

Traduction : Fabien

Source : Humo


Professor neurogenetica Rosa Rademakers over de ice bucket challenge - HUMO


ALS-vorser Rosa Rademakers over de Ice Bucket Challenge - Humo

Share