L’éthique de l’expérimentation sur Soi-Même

16-12-2014

Les éthiciens repoussent l’idée de « citoyens scientifiques » qui veulent pratiquer des recherches médicales sur eux-même.

Avec un nombre croissant de patients participant à des (expériences de) science citoyenne, les éthiciens demandent : faut-il protéger les patients d’eux-mêmes ? GETTY IMAGES

Par AMY DOCKSER MARCUS

Les éthiciens se sont longtemps préoccupés de protéger les patients des chercheurs qui expérimentent sur eux. Mais aujourd’hui l’accroissement du nombre de patients contribuant à des expériences et, parfois, en les réalisant eux-mêmes – ce qu’on appelle communément une science citoyenne – les éthiciens demandent : les patients ont-ils besoin d’être protégés contre eux-mêmes ?

L’année dernière, uBiome, une startup basée en Californie a annoncé avoir collecté plus de 350.000$ en crowdfunding (financement participatif) pour soutenir un ambitieux projet citoyen scientifique « afin de séquencer le microbiote humain » (le monde de micro-organismes qui vivent sur et dans notre corps). Les contributeurs recevraient des kits de test à domicile afin de réaliser des frottis de leur nez, bouche et autres parties du corps. Après réception des échantillons, uBiome établirait la séquence du microbiote et enverrait les résultats. Les participants pourraient étudier leurs propres données et comparer les résultats.

Quand il a été annoncé, le projet a attiré l’attention d’un grand nombre – y compris de bioéthiciens consternés, qui disaient que les participants ne comprenaient peut-être pas totalement les risques. Qu’en serait-il si quelqu’un recevait les résultats et décidait par lui-même de suivre un régime potentiellement dangereux ou de modifier son traitement ? Les participants avaient-ils compris que l’information génétique pourrait aussi révéler des informations concernant des membres de leur famille ? Qu’en serait-il des données en cas de rachat de uBiome ?

Une expérience similaire dans une institution traditionnelle aurait d’abord été soumise à une revue extensive par ce qu’on appelle un comité d’éthique (CE), un groupe d’experts indépendants qui posent les questions importantes pour la protection des patients. Les CE veulent savoir si les sujets sont correctement informés des risques, comment leur vie privée sera protégée et si les chercheurs ont un intérêt financier quelconque qui pourrait influencer le projet. L’approbation du CE est un élément central de la science moderne. Sans cela, les journaux académiques sont réticents à publier un article et les agences gouvernementales ne vont pas accorder de fonds.

Les critiques ont noté que uBiome n’avait pas réalisé cette procédure de révision par un CE avant de lever des fonds. Les co-fondateurs de uBiome, Jessica Richman et Zachary Apte, ont réagi en ligne. Ils ont avancé que les CE appartenaient à « l’Ancien Monde de la recherche scientifique » et ne correspondaient pas au défi unique de la science citoyenne. 

ARTHUR GIRON

Certains membres de la communauté scientifique acceptent la nécessité de nouvelles approches. Le National Institute of Health a maintenant des initiatives citoyennes scientifiques centrées sur l’éthique. Et certains groupes de science citoyenne, comme Zooniverse, écrivent leur propre code de déontologie (conduite éthique).

En mai, Effy Vayena, une agrégée supérieure à l’Université de l’Institut d’Ethique Biomédicale de Zurich, a aidé à organiser à Londres une réunion avec des leaders d’opinion sur le sujet des alternatives aux CE. Une idée a été émise qui consisterait à avoir des éthiciens citoyens qui critiqueraient de telles études et posteraient leurs commentaires en ligne. Une autre serait de créer un outil éthique téléchargeable pour les scientifiques citoyens.

Dr. Vayena dit que son intérêt pour le sujet a cru après avoir lu un article de 2011 dans le journal Nature Biotechnology concernant la rencontre en ligne d’un groupe de patients souffrant de Sclérose Latérale Amyotrophique (maladie de Lou Gehrig). Après avoir appris d’une petite étude que les patients souffrant de SLA pourraient tirer un bénéfice de la prise de Lithium, le groupe a décidé – sans avoir obtenu d’accord préalable d’un CE – de prendre du Lithium et de voir si cela ralentirait la progression de leur maladie mortelle. L’étude menée par les patients a montré que le lithium n’aidait pas et, plus tard, des études traditionnelles n’ont pas pu reproduire les découvertes de l’étude originale.

Dr Vayena s’est rendu compte que des recherches importantes étaient faites par de tels citoyens scientifiques, mais elle sait aussi que, sans supervision éthique, la communauté scientifique ne les reconnaitra pas.

Les patients souffrant de SLA ont fini par travailler avec des chercheurs à Cambridge, au travers du site PatientsLikeMe, ceux-ci ont aidé à réaliser l’étude, à analyser et à rédiger les résultats. La société – dont la plateforme en ligne permet aux patients de suivre l’évolution de leur maladie et de partager des informations – essaie de maintenir un équilibre entre la volonté de laisser le patient prendre des initiatives et la compréhension que tous les scientifiques, même les citoyens scientifiques, ont besoin de standards éthiques. La société envoie des études pour une revue par un CE quand il y a une possibilité de nuire au patient, un possible conflit d’intérêt ou qu’un collaborateur de l’étude le demande, dit Paul Wicks, le vice-président de l’innovation.

Lindsay Mc Nair, médecin-chef chez WIRB-Copernicus Group, un CE indépendant, dit qu’un des défis à relever pour les citoyens éthiciens est que la compliance est volontaire. Si les éthiciens citoyens donnent une opinion « mais ne peuvent en fait rien en faire », dit-elle « quelle est la valeur de cette révision ? »

Janet D. Stemwedel, professeur associé de philosophieà l’université de l’état de San Jose et une des critiques de uBiome, dit qu’elle veut voir une collaboration avec des scientifiques traditionnels pour le développement d’une révision éthique de projets citoyens scientifiques. Un point commun à toutes les sciences, dit-elle, est le besoin d’étrangers de s’en mêler. « les chercheurs sont toujours très enthousiastes à propos des recherches qu’ils mènent », a-t-elle dit, « et cela comporte toujours le danger de vous faire penser que les risques sont minimes et les bénéfices maximaux ».

Pour finir, uBiome a suivi le chemin traditionnel et, en avril 2013, a reçu l’approbation d’un CE indépendant. Mais Mme Richman, co-fondatrice de uBiome, n’est toujours pas convaincue. Elle espère voir naître une forme alternative de révision éthique pour la science citoyenne. 

 

Traduction : S. Habets

Source : The Wall Street Journal

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