Elle pense à un mouvement. Et provoque ainsi un clic de souris.

10-11-2019

Neurologie L'implant cérébral avec lequel Hanneke de Bruijne, paralysée par la SLA, peut utiliser un ordinateur sans fil à la maison, est implanté maintenant depuis quatre ans dans son corps et fonctionne toujours. "MAIN(tenant), (je) S(ait) DIRE (quelque chose)”.

Photo Merlin Daleman

Une femme soignée est assise dans son fauteuil roulant dans le salon brabançon. Ses mains reposent immobiles sur des coussinets de cerisier posés sur ses jambes, autour de son cou une écharpe colorée cache le tube de la ventilation. Son ventre bouge selon le rythme de succion de la machine à respirer. Hanneke de Bruijne (61) me regarde avec ses yeux bleus, sa lèvre inférieure pend vers le bas. Par politesse, je ne le regarde pas lorsque j’entre dans son champ de vision et je me présente. Il est étrange de lui parler et de ne pas voir de réaction. Peut-elle me voir ? M'entendre ?

Jeanne van Gestel, son infirmière, elle, observe la lèvre inférieure. Hanneke peut encore bouger l’angle droit de sa bouche, et, quand elle le fait, sa lèvre monte. Deux fois signifie 'oui', une fois 'non '. Jeanne dit: "Première rangée,.." La lèvre monte deux fois. "A, B, C, D..." Elle remonte deux fois. D. "Première rangée.., deuxième rangée.., troisième rangée.." La revoilà. "O...". Voulez-vous dire «sourd » ? demande Jeanne. "Oui", dit Hanneke avec le coin de sa bouche. Dès que Jeanne soupçonne de quel mot il pourrait s’agir, elle le propose. Hanneke n’a plus alors qu’à faire signe « oui » et elle peut passer au mot suivant.

« Elle a récemment été irradiée pour ralentir la salivation », explique Maarten Visser, son mari qui passe en vitesse en se rendant à son cabinet médical. "Cela cause temporairement un peu d'humidité dans ses oreilles, ce qui diminue son audition." Il saisit un moniteur pour bébé, pose la partie qui est normalement dans la chambre du bébé sur la table près de moi, et introduit la partie destinée normalement au garde-bébé dans un gant de toilette doux qu'il fixe au fauteuil roulant juste à côté de son oreille. A nouveau solutionné. Elle confirme qu’elle peut maintenant bien me comprendre.

Un chirurgien a implanté un ensemble d'électrodes dans son cortex cérébral.

Hanneke a été diagnostiquée atteinte de la SLA en 2008, une maladie progressive et incurable des cellules nerveuses qui contrôlent les muscles. En quelques années, elle n’a pratiquement plus pu bouger, se nourrir ou respirer sans assistance. En tant que médecin - elle a travaillé comme interniste à l'hôpital de Den Bosch - elle sait à quel point la recherche scientifique est importante. Ainsi quand, il y a quatre ans, elle a signé avec Nick Ramsey, chercheur du cerveau à Utrecht, pour participer à cette expérience futuriste, elle l'a fait uniquement pour la science. Elle pouvait encore parler lentement quand un peu d'air de la machine à ventilation sortait de sa bouche, et en clignotant avec ses yeux pour communiquer. Elle n'avait pas encore besoin d’une connexion cerveau-ordinateur.

Un chirurgien a implanté un ensemble d'électrodes dans son cortex cérébral, dans la zone qui contrôle les mains et les doigts. Il l'a reliée à une petite boîte avec un amplificateur et un émetteur sous sa peau, juste en dessous de sa clavicule. Les signaux électriques du cerveau sont transmis vers un ordinateur grâce à une antenne positionnée à l'extérieur de son corps.

Quand elle rapproche en pensée son annulaire droit de son pouce droit, les électrodes enregistrent cette activité cérébrale. Ce qui se traduit par un signal d’un clic de souris sur la tablette qui est attachée à son fauteuil roulant dans son champ de vision. Elle peut épeler sur cette tablette et l'ordinateur exprime oralement ces mots.

Photo Merlin Daleman

Elle est la première personne au monde à être en mesure de se servir d’un ordinateur à la maison avec un implant cérébral. D'autres patients ne peuvent le faire que dans un laboratoire, avec des câbles épais attachés à leur tête et des dizaines d'électrodes ultrafines implantées dans leur cortex cérébral. Les électrodes à elle sont plus grandes et sont attachées sur son cerveau. Les systèmes extérieurs à la boite crânienne ne sont pas assez sensibles.

La ‘Utrecht NeuroProthese (UNP)’ est dans la tête de Hanneke depuis quatre ans, et, à sa propre surprise et celle des chercheurs d'Utrecht, il fonctionne toujours. Ils ont écrit à ce sujet en juillet dans la revue scientifique Clinical Neurophysiology. Hanneke ne s'attendait pas à ce qu'elle soit maintenant si contente de cela. Elle a perdu sa faculté de parler quelques mois après l'implantation et ses muscles oculaires sont paralysés depuis un an.

En tant qu'infirmière, vous devez presque avoir une formation technique.

Jeanne van Gestel, infirmière.

Jeanne, Maarten et Sacha Leinders, le chercheur d'Utrecht qui vient faire des tests aujourd'hui, m’expliquent les choses, parce que je viens voir comment fonctionne la neuroprothèse d'Utrecht, l'UNP. Mais l’angle de la bouche de Hannekes monte et descend trois fois. Elle veut dire quelque chose. Elle épelle ANTEN(ne). L'antenne est collée sur sa poitrine avec du ruban adhésif. Il y a des piles dans le récepteur qui pend à son fauteuil roulant. Et Jeanne a positionné la tablette à hauteur de son visage. « En tant qu'infirmière, il faut presque avoir une formation technique. » Heureusement, Hanneke sait toujours comment cela fonctionne.

L'écran contient trois colonnes de mots différents : réveil, son, visage, animal… Les champs des mots s’illuminent à tour de rôle. Si le mot est celui que Hanneke veut faire prononcer par l'ordinateur, elle rapproche en pensée son annulaire de son pouce. "Salut!" dit la voix de l'ordinateur. Elle a choisi le champ ‘salutations '. Nous avons un contact! Grâce à cet écran, j’ai un accès à son monde intérieur, et elle se transforme d’une personne au regard immobile dans un fauteuil roulant en une Hanneke de Bruijne intelligente.

La tablette peut également servir pour épeler. Comme Jeanne, l'ordinateur va d'abord parcourir quatre rangées de lettres. Hanneke sélectionne la bonne rangée, puis le curseur se déplace sur toutes les lettres de cette rangée. La vitesse à laquelle le curseur change a été récemment améliorée de 2,4 secondes à 1,8 seconde. Néanmoins, il faut une patience d’ange pour parvenir à s’exprimer. Mauvaise lettre sélectionnée? Attendez d'abord que le curseur soit sur le bouton ‘retour’.

Grâce à cet écran, j’ai un accès à son monde intérieur

Est-il difficile d'avoir de la patience?

Oui, dit la lèvre. Je la regarde maintenant aussi constamment.

Est-ce que cela demande un effort de faire mentalement cliquer la souris?

Non. C'est devenu beaucoup plus facile au fil des ans, écrira-t-elle plus tard dans un courriel.

« Visage », dit-elle via l'ordinateur.

Jeanne parcourt à nouveau toutes les lettres, c'est plus rapide que la tablette. P-O, épelle Hanneke. « Poumons ? » demande Jeanne. Oui, dit l'angle de bouche. Jeanne fait pivoter le tuyau de la canule à son cou et glisse un tube mince dans le trou pour nettoyer les poumons. Ensuite, le tuyau de la machine à respirer est replacé rapidement.

Hanneke ne sait plus cligner des yeux. De temps en temps, Jeanne ferme ses paupières. Elles se rouvrent alors automatiquement. Hanneke montre comment elle peut alerter les gens autour d'elle en sélectionnant le bouton d'appel qui apparaît sur chaque page de son programme.

En 2016, lorsque l'UNP était implanté dans son cerveau depuis quelques mois, elle utilisait, dans la vie quotidienne, surtout son système d'oculométrie (eyetracking). Une caméra dans le moniteur enregistrait la direction des yeux. Elle pouvait ainsi sélectionner quelque chose sur l’écran en le fixant avec les yeux. Cela fonctionnait plus vite.

Vous utilisiez L'UNP principalement à l'extérieur, parce que l'oculométrie ne fonctionne pas bien à la lumière du jour. Quand est-il maintenant ?

Y (eux) TRO(p) LE(nts), épelle Hanneke, avec les ajouts de Jeanne. L'oculométrie ne fonctionne plus bien pour elle parce que ses mouvements oculaires sont devenus trop lents. Elle ne l'utilise que le matin et le soir au-dessus de son lit pour pouvoir sonner l’alarme. Auparavant, avec l'oculométrie, elle pouvait commander des choses, rechercher des choses, et répondre aux e-mails via l'ordinateur, dit Jeanne.

Auparavant, elle pouvait commander des choses avec l'oculométrie et répondre aux courriels

GR(and) MANQ(ue) épelle Hanneke.

Comme elle ne peut plus cligner des yeux, elle est devenue beaucoup plus dépendante de l'UNP au cours de ces trois dernières années. Mais elle sait y lire ses courriels.

Hanneke ajoute qu'elle lit aussi WHATSA(app) par l'intermédiaire de l'UNP. Ses enfants envoient des messages, et tous ses soignants sont dans un groupe où ils échangent des informations sur ses soins. Cela les tient informés. Elle ne répond pas aux messages.

Etes-vous heureuse d'avoir l'UNP?

TR(ès heureuse)

Le recommanderiez-vous aux personnes qui sont dans la même situation que vous?

Oui. MAIN(tenant) (je) S(ais) DIRE (quelque chose).

Hanneke explique plus tard par courriel : ‘ Je ne peux pas attirer l'attention si quelqu'un est dans la pièce derrière moi. Avec l'UNP, je peux dire quelque chose ou alerter. Cela me donne un sentiment de sécurité. C'est ma seule façon de communiquer sans l'aide d’autrui. Epeler avec l'UNP est lent mais cela fonctionne. Très dépendante des gens autour de moi, l’UNP me confère encore un certain contrôle. Quand vous ne pouvez plus faire grand-chose, c’est très précieux. Et ça soulage les gens autour de moi.’

PAS DE REGRETS, épelle-t-elle.

Photo Merlin Daleman

Les mises à jour sont régulières. « Nous avons augmenté la vitesse, par exemple, et Hanneke peut indiquer quels boutons et fonctions elle désire », explique Sacha, le chercheur. " Un long clic a été ajouté pour déclencher l'alarme. Lorsqu'elle fait un clic de souris pendant sept secondes, le système va directement à la page du bouton d'appel. "

TOU(t) (ce) Q(ue) JE DEM(ande), dit Hanneke.

On dirait presque : une position de luxe.

Oui, elle est d'accord. Elle ne voulait pas d’émojis sur des sentiments, tels que les réactions sur des blagues, dans le système. Cela n’aurait pas de sens. Au moment où ils seraient finalement sélectionnés, la conversation serait déjà passée.

Les chercheurs n'avaient aucune idée, au début de l'expérience, de combien de temps elle continuerait à fonctionner. Par exemple, les cellules du cerveau continueraient-elles à faire bouger la main mentalement lorsqu’elle ne bouge plus en réalité? Les électrodes resteraient-elles intactes ? Les deux semblent s’avérer positifs. Le signal de l'électrode est devenu un peu moins bon, mais la différence entre « activité cérébrale » et « aucune activité cérébrale » est encore assez grande.

BIZ(arre) Q(ue) MAIN ne BOUGE P(as), dit Hanneke. Elle a ressenti, depuis le premier mois d'utilisation, que sa main droite, avec laquelle elle rapproche mentalement le pouce du bout de l’annulaire, se déplace réellement. La main gauche ne le fait pas. Parfois, elle éprouve même des crampes dans la main droite. Elle soupçonne que c’est l’entrainement. Utiliser l’UNP est également devenu beaucoup plus facile au fil des ans. Il ne lui faut presque plus d’effort pour faire le clic de souris. Le système fait désormais partie d'elle.

Let système fait maintenant partie d’elle.

Vous rêvez encore que vous bougez? Que vous marchez ?

Oui.

Avez-vous joué d'un instrument de musique, rendant vos mains agiles ?

Non. SCOPIE.

Maarten, son mari, explique que Hanneke avait conquis sa place, en tant qu'interniste, à une époque où la médecine interne était encore un monde d'hommes. Elle s'était battue pour qu'elle puisse exercer cette fonction à temps partiel. Habile, elle a utilisé l’endoscope, un tuyau mince et flexible avec lequel elle pouvait explorer avec des mouvements précis le tractus gastro-intestinal de ses patients. Lorsqu’un jour cela est devenu un peu plus difficile, elle a trouvé cela particulièrement irritant, mais pas étrange. Quand elle n’a plus su utiliser les petites pinces à linge que Maarten lui avait acheté, ils ont trouvé cela seulement étrange. Ce n'est que lorsqu'elle a voulu nettoyer la cuisinière avec un torchon sans y parvenir que le couple de médecins a réalisé: quelque chose ne va plus ici.

Le travail vous manque?

Oui.

Vos collègues passent-ils souvent vous voir?

Oui.

Soudain, des larmes jaillissent de ses yeux bleus. Jeanne les essuie avec un mouchoir.

VI(e) ENNUY(euse), dit Hanneke.

Qu'est-ce que vous aimez le plus faire ?

„PROM(ener).” Jeanne explique qu’elle aime s'asseoir dans le jardin tous les jours. Et qu’elle écoute les infos toute la journée.

Toutes les connaissances scientifiques acquises pourront être utilisées pour d’autres personnes qui participeront à ce programme

« Le matin, j'écoute souvent la radio », explique-t-elle plus tard. « En début d'après-midi, je sors du lit. Parfois, nous faisons une escapade : visite d’un musée, promenade dans la nature (en fauteuil roulant bien sûr), shopping, visite à nos enfants, à ma mère, à des amis ou la famille. Ou je reste à la maison et je profite de notre jardin et j’écoute un livre audio. J'aime discuter avec ma fille et mon infirmière, et j'aime regarder des séries. Vers 10 heures, je vais au lit et je bénéficie des soins infirmiers du soir en regardant la télévision. Vers minuit, les soins sont terminés et nous allons dormir.

Aimez-vous contribuer au développement de cette technologie?

Oui.

La recherche d'Utrecht dont Hanneke fait partie, a été étendue depuis deux ans à un deuxième patient, paralysé par un accident vasculaire cérébral. Toutes les connaissances scientifiques que les chercheurs ont acquises jusqu'à présent pourront être utilisées pour d’autres personnes participeront à ce programme.

C'est l'heure des tests hebdomadaires. Aujourd'hui Sacha, le chercheur, va voir si épeler fonctionne aussi bien quand les lettres ne défilent pas sur un écran à hauteur de vue, mais sont seulement lues par une voix d'ordinateur. Il veut constater si le système peut aussi fonctionner pour les gens qui ne peuvent plus voir. Hanneke doit épeler ' bol ', mais cela se déroule plus difficilement que lors des sessions précédentes. Elle écrit A-O puis M-O-L, elle échoue toujours. TROP SENSIBLE, dit Hanneke. Le clic de souris arrive trop vite.

Après les tests, nous parlons encore un peu avec l'aide de Jeanne et de sa carte avec les lettres. Quand je dis au revoir, je remercie Hanneke pour son temps. Elle se tait, Jeanne se dirige vers la porte. "Au revoir!" résonne soudain la voix de l'ordinateur du salon.

Le rêve : un ordinateur vocal qui parle couramment

S’exprimer en contrôlant le clic d’une souris avec le cerveau est désespérément lent. Hanneke de Bruijne peut sélectionner, avec son système, trois lettres par minute. Lors des recherches avec d'autres interfaces cerveau-ordinateur, les personnes-test obtiennent jusqu'à huit mots par minute. Le but ultime est un système qui permet, aux gens paralysés, de parler avec un débit naturel en s'imaginant les propos.

En avril, le chercheur du cerveau américain Edward Chang a décrit une façon de faire parler un ordinateur sur base des signaux neuronaux qui contrôlent les muscles des lèvres, de la langue, de la gorge et de la mâchoire. Chang a repris les signaux chez cinq patients épileptiques, qui avaient déjà été implantés de tapis de petites électrodes dans leur cerveau pour leur traitement, pendant qu'ils lisaient des centaines de phrases ou expressions. Il a d'abord traduit ces signaux en descriptions des mouvements des muscles de la parole. Il les a ensuite décodés en discours. Cela produit moins de bruits parasites que lorsque les signaux du cerveau sont directement convertis en mots. Son système a donné des mots parlés que d'autres personnes parvenaient- dans une certaine mesure – à comprendre.

Le chercheur Nick Ramsey de l'UMC Utrecht est également à la recherche d'un moyen de transformer les signaux pour les muscles de la bouche et de la gorge en un discours fluide. Cela nécessite des tapis plus grands avec plus d'électrodes. Il explique : « Le plus intéressant, c'est la parole, mais c'est aussi la chose la plus difficile. Pour les sons du langage, il faut être capable de distinguer mille mouvements. Leur contrôle est réparti dans l'écorce motrice sensorielle ».

Dans le cas où les signaux de la bouche et de la gorge semblent trop compliqués, Ramsey se penche également sur la langue des signes. "Les mains n'ont que cinq doigts, pour ces mouvements, nous avons besoin de distinguer moins de signaux. Le contrôle des doigts est bien aligné. Le problème est que les deux tiers se trouvent dans un plis en profondeur dans le cerveau, inaccessible pour un tapis d’électrodes. Il y a six gestes que Ramsey parvient bien à distinguer : ceux pour L, S, W, F, Y et 8.

Une autre limite est le temps de recherche. Les chercheurs de l'UMC Utrecht prennent des mesures chez des patients épileptiques avec des électrodes temporaires et ne peuvent le faire que pendant une heure.

Ramsey espère implanter, en 2021 avec des collègues américains, un tapis avec 256 électrodes chez un patient presqu’entièrement paralysé. Il disposera également du système de clic de souris que Hanneke de Bruijne utilise. Il faudra encore beaucoup de temps pour que cette recherche produise un système réellement utilisable. Le discours recomposé des Américains était encore plus difficile à comprendre que le discours naturel. Les électrodes des patients épileptiques se trouvaient à la surface du cerveau - avec des électrodes plus profondes, il pourrait fonctionner mieux. Et le plus important: pour faire fonctionner ce système, le bénéficiaire doit d'abord lire toutes sortes de phrases, ou du moins les mimer.

 

Traduction : Fabien

Source : NRC

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